Le Havre, planète bleue des lucioles
lundi, 22 septembre 2014
Bleu : la couleur indéchiffrable de la journée normande qui nous a réunis à l’invitation de Mathilde Milot et de Fazette Bordage ce 9 septembre au Havre. Bleu venté du ciel, bleu gris du port, ineffable cassé/bleu de l’exposition de Nicolas de Staël, en hommage à René Char et à son ami de Varangéville, Braque.
René Char explique ainsi le mystère créatif de cette démarche éblouie qui réconcilie l’artiste et le contemplatif:
« Ce cassé-bleu fut un sujet de débat intérieur sans fond mais d’une richesse espérante. Ce cassé-bleu nous ressemble à tous. (…) Le cassé-bleu, c’est lorsqu’inéluctablement votre esprit s’approche de la toile et vous donne envie de vous asseoir sur le cadre au bord du ciel à l’envers, les pieds dans le vide, qu’en quête de suspension vous vous jetez du bord du cadre dans un besoin de désaltération et que cette situation vous procure un bien-être infini. Le cassé-bleu c’est l’infini. »
Les deux organisatrices avaient conjugué l’infini des bleus sur un lieu symbolique de la reconstruction havraise, martyrisée par les bombardements de la Seconde guerre mondiale : le Musée d’Art Moderne (MuMa), ouvrage prioritaire des maisons de la Culture-Musées, inauguré en 1961 par le ministre André Malraux, face à la capitainerie du port. Trois paquebots processionnaires ont, ce jour-là, soit quelque cinquante années plus tard, doublé la sculpture du Signal qui orne la façade du Musée…
Ces bleus multiples qui se renvoient leurs messages ailés, ne sont pas que l’empreinte impressionniste de la côte normande. Le musée tout entier est un capteur de lumière : vitré sur cinq faces, l’édifice transparent est baigné de lumière naturelle. Dépourvu de mur porteur, le musée est un espace flexible à éclairage latéral, arrimé sur quelques poteaux. Au plafond, des dalles carrées translucides tamisent la lumière, réfléchie par des lames d’aluminium (les paralumes) qui transforment les rayons du soleil. Ainsi, le bâtiment laisse pénétrer la lumière changeante de l’estuaire de la Seine, celle-là même qui a inspiré les peintres présentés dans les collections.
Le Musée, figure de proue de la ville nouvelle construite par Auguste Perret de 1945 à 1964[1], issue du Havre de grâce fondé par François Ier en 1517, s’enorgueillit également d’avoir conjugué une dynamique collective de quatre architectes, quatre ingénieurs, trois artistes muséographes et les donateurs… Notre consultation créative, en ce jour ensoleillé de septembre, ne pouvait partir sous de meilleures auspices, entre une Françoise (Fazette) Bordage, qui désigne ces éléments de fer et acier protégeant les bords des bâtiments de marine, et une Mathilde, qui porte le nom du pont fameux de Rouen[2]. Les noms et les lieux racontent des histoires infinies et nous étions venus de loin (Dinard, Charentes, Île de France) pour nous confronter à ces espaces communs de respiration créative. La journée de concertation s’est déroulée de dix heures à dix-sept heures, ponctuée d’un repas préparé par l’association Kid & Pot et une visite privée grâce à Marie Bazire (MuMa) de l’exposition lumineuse consacrée aux dernières œuvres de Nicolas de Staël, des lointains bleutés de la côte normande aux rouges, aux verts et aux jaunes francs des Midis de rencontre.
Fazette Bordage a esquissé en questions ouvertes, les contours de l’initiative de ce jour : réfléchir sur une co-construction sociétale et institutionnelle de la créativité havraise et normande. Pour ce faire, les organisatrices avaient réuni un panel conforme aux expériences de la Plate-Forme « Créativités &Territoires » (Créa&T)[3]: des personnes créatives, aux expressions locales et aux parcours hétérogènes, dans une écoute mutuelle des expériences et (peut-être) le désir de les compléter pour participer du développement des territoires. Nous avons donc travaillé dans la lumière sur les expériences innovantes de la société civile, du « papier-pierre », des habits pour les handicapés, du muralisme, des promenades urbaines, des cafés lectures nomades «parents-enfants », des pools d’entreprises… toutes expériences destinées à stimuler des innovations sociétales, à la croisée des nouveaux besoins de proximité.
Croissances bleues et mauves
Partons des figures singulières comme des expressions naturelles du vivant. Les anciens Mayas croyaient que chaque personne avait une couleur, une figure et un son. Chaque personne recevait une sorte de « flûte de pan » en pierre, sur laquelle l’être humain approfondissait sa note fondamentale qui devait rituellement être brisée par la collectivité en fin de vie, afin de préparer la transition harmonique du cosmos. Fazette Bordage[4], dans un premier tour de table, présente son parcours personnel de « rêveuse professionnelle » des Deux-Sèvres, qui, de pianiste inspirée, l’a conduite à transformer des friches en lieux de création artistique (Le Confort Moderne, Poitiers, Mains d’œuvres Saint-Ouen,[5] le réseau européen des Fabriques) dans une expérience concrète d’entraide et de « récupération d’espaces abandonnés ». Sollicitée en expert par de nombreuses institutions de terrain (dont naguère L’Institut des Villes), elle œuvre depuis trois ans en la mairie du Havre[6] pour inventer avec les services, des modes de transversalité publique. Parmi ses responsabilités de coordinatrice dynamique, le fort de Tourneville (inauguré en 2013), naguère délaissé, reprend vie avec des artistes et des micro-entrepreneurs. Mathilde Milot, née et vivant à Rouen, définit son parcours free-lance sur une « constante envie de créer » et de partager, qu’elle dédie à des activités diverses, telle la création d’un Musée pour enfants[7] et les « pistes créatives » des promenades urbaines insolites. Ces deux premiers exemples caractérisent les discussions à venir : la place de l’institution dans le relais des initiatives de la société civile, le rôle du free-lance dans une politique qui freine les investissements culturels au nom d’une priorité économique, l’inépuisable richesse du terrain, terrain de jeux, de rêves et d’inattendues transformations sociétales.
Pour ce faire, la géographie des ports et des estuaires conduit naturellement à des embouchures de sens. Le philosophe Bachelard l’avait pressenti au siècle dernier, reprenant une tradition géographique ancienne. Restons sur le bleu de l’estuaire, à l’aube d’une économie qui cherche ses couleurs : la Commission européenne a présenté, le 8 mai 2014, un plan d’actions pour stimuler la croissance bleue tout en préservant les milieux marins. Par ailleurs, « l’économie bleue » est également un concept systémique que l’on doit à l’entrepreneur belge Gunter Pauli (Club de Rome), gourou d’une « économie verte », puis promoteur d’une nouvelle pensée du recyclage au travers la Fondation Zeri. Le bleu, figure de l’étonnement et de la félicité, transforme la fulgurance prométhéenne du rouge, symbole de l’industrie, et nuance le vert du développement durable. Pour les chercheurs de cette économie attentive aux recyclages constants de la Nature, dont l’ingénieure colombienne Camila Amaya-Castro, présente dans cette concertation havraise, le bleu est la couleur mythique qui représente au mieux la Nature et ses capacités : notre Terre, vue du ciel, est, pour l’instant, la seule Planète bleue. Gunter Pauli (www.gunterpauli.com) accompagne l’expression de ses projets par des Fables qui, dans un langage coloré, présentent son action aux enfants. Camilia Amaya Castro détaille quelques inventions de recyclage (« the open source of the source ») qu’elle promeut : le « papier-pierre » biodégradable, composé à partir des poussière des terrils (pas d’eau, pas de bois, pas de chlore), la reconversion du marc de café dans la culture des pleurotes et bien d’autres inventions fascinantes : la pêche sans filets par exemple. La Belgique, pays de Pauli, mais aussi Taïwan et Chine, grands pollueurs embarrassés de leurs déchets se sont convertis à ces transformations écologiques nouvelles et en commercialisent les produits.
Pour continuer une comparaison coloriste dont nous n’avons pas directement parlé ce jour, mais qui formait filigrane, citons aux côtés de la concrète « économie bleue » de Gunther Pauli, les préconisations d’une économie « mauve », plus immatérielle, qui renvoie à la prise en compte du culturel en économie. « L’économie mauve », soutenue par l’UNESCO (et en France, le relais du journal Le Monde), s’adapte à la diversité humaine dans la mondialisation et prend appui sur la dimension culturelle pour valoriser les biens et services. Ces deux dimensions se nourrissent l’un l’autre : l’accroissement de la composante culturelle des produits reflète la vitalité culturelle des territoires.[8] Le bleu et le mauve sont les couleurs de proximité de l’arc en ciel économique, cherchant à restaurer par des voies nouvelles, un équilibre des forces. Ils participent de cet effort sans précédent qui, dans nos sociétés numériques en crise, tente de réenchanter les mutations par des mythes aux couleurs de mots.
La créativité est affaire de reconnaissance sociétale, de méthodes et, plus généralement, de formation. C’est sans doute le trésor enfoui du vivant, mais concrètement, il doit révéler ses potentialités dans le champ du réel, pour être pris au sérieux des décideurs frottés aux grands nombres. Cette créativité qualitative est multiple comme le vivant : celle qui nous intéresse est celle qui se transmet et se partage, renforçant le bien commun des valeurs publiques.
L’ouverture à la créativité est aussi une affaire d’écoute et donc de morale : depuis 2008, nous avons appris, par quelques bleus à l’âme, à éviter les petits bleus de la forfanterie quotidienne. De fait, il faut se méfier des mots valises qui, dans le fourre-tout de la crise, peuvent s’ériger en invocations ou en stratégies de marketing, régulièrement coupées de l’alchimie mystérieuse des lieux, des structures et du parcours des personnes. Sur You Tube, les « conférences gesticulées » de Franck Lepage [9]résument bien le jeu de bonneteau des discours-capsule : projet, territoires, démocratie, talents, participatif, innovation, tous ces jolis mots peuvent fonctionner comme des oiseleurs de l’essor collectif. La Plate-Forme Créa&T, dans son dispositif et sa volonté de rencontres authentiques, tente d’éviter les pièges idéologiques et les clonages maladroits. Pour cette raison, nous serons toujours en recherche, sans volonté de contrôle ni de maitrise, mais en vraie liberté de diagnostic des expériences collectives. La créativité est un art social[10], une sorte de jeu éthique où il importe de voir clair. Il va sans dire que la panne actuelle des budgets culturels peut aller de pair avec la destruction d’expériences collectives innovantes ou leur récupération frénétique par des services administratifs ou industriels en mal de considération interne. L’Île de France tangue en ce moment sous les discours lénifiants, particulièrement sur les actions relatives aux reconversions de lieux, fragilisant des expériences solidaires et artistiques, telles Mains d’Œuvres à Saint-Ouen ou Mozinor à Montreuil. Tout n’est pas simple dans le meilleur des mondes : innover, c’est aussi licencier (dans son acception ambivalente), créer, c’est parfois copier.
Signalons quelques projets concrets, puisque c’est notre mission positive de ce dispositif de recherche. Depuis vingt-cinq ans, l’Observatoire national de l’Innovation publique-Territoria, sous la responsabilité de sa déléguée générale Marie-Christine Jung, labellise des projets publics innovants qui sont de plus en plus participatifs, associant, dans une culture administrative nouvelle des secteurs publics de tous types (villes, villages, Conseils Généraux, Conseils régionaux) à des propositions de la société civile[11]. Dans le secteur académique francilien, l’université de Cergy-Pontoise a, grâce à l’action conjuguée de Violaine Houdard-Mérot et d’Anne-Marie Petitjean[12], lancé à la rentrée 2014 un Diplôme d’Université en Écriture créative et Métiers de la Création, dans l’ambition de transformer en profondeur les pratiques d’écriture du futur. Venu de Caen, Patrice Henry [13] nous décrit ce jour les expériences diversifiées de l’association Créa France qui, sur un réseau de deux cent adhérents et des antennes en province, propose des formations à la créativité pour les entreprises et le développement personnel. Lui-même développe, à travers son entreprise Ptaleas (Conseil et formation en innovation et créativité) [14]le réseau Normandie de Créa France. Les projets créatifs « orange », de Ptaleas, portent la couleur du fruit et cherchent à dynamiser des territoires dont les regards oscillent entre la mer et l’arrière-pays. La vallée de la Seine et la Normandie côtière, connaissent depuis quelques années un regain d’intérêt des investisseurs et créateurs d’entreprises, au-delà des escales touristiques de Deauville et de Trouville. Les ports sont des espaces où l’activité se diversifie et se rêve au-delà de la mer.
Le cassé/bleu des créativités normandes
Le tour de table a mis en évidence la vivacité des expériences culturelles côtières de confluences et de recyclages créatifs : Caen, Cherbourg, Étretat, le Havre, Fécamp, jusqu’à Rouen, où la marée remonte. Il est nécessaire de penser l’épanouissement des personnes dans un pays qui se dépeuple, fragilisé par une pauvreté endémique : le Havre, perd environ mille habitants par an. Les expériences décrites conjuguent des talents jeunes avec la passion des publics, dans le champ ouvert de la médiation culturelle et du lien social. Quelques exemples nous ont été présentés, avec un temps de parole suffisamment fournis pour comprendre les freins et les stimuli de ces expressions.
À Cherbourg-Octeville, la plasticienne Claire Le Breton, formée aux Beaux-Arts de Rennes et aux Arts Appliqués de Strasbourg, a naguère fondé avec son compagnon musicien une cantine associative qui organise des concerts, l’Épicentre. Installée au Havre, La jeune femme y développe une polyvalence qui lui convient : intervention dans les écoles, graphisme, accompagnement de projets de création… Le blog de Claire le Breton[15] esquisse, au travers de ses croquis et de ses textes, une philosophie du recyclage, dans une attention constante aux matériaux précaires. Le peintre muraliste Miguel do Amaral, ancien grapheur [16] formé à Lyon et à Nantes, vit au Havre, mais travaille à Honfleur, Bagneaux-sur-Loing (77). Le Havre, cité associée au gris sobre du béton Perret, qui scella en 2005 sa reconnaissance patrimoniale par l’UNESCO, avance lentement vers l’effervescence de la figuration colorée, malgré ses nombreuses galeries d’art et enseignes de restauration.
Au Havre, Matthieu Lechevalier, chargé de développement de la pépinière de l’association La Papa’s Production, cette même association qui à créé le TETRIS (gérée en parité : onze femmes, neuf hommes, deux chiens !) décrit le pôle qu’il anime, comme une couveuse d’artistes musiciens en gestion partagée associative qui réunit la ville du Havre, la DRAC, la Région Normandie, le Conseil Général et un mécénat privé, dans les locaux rénovés du Fort de Tourneville. En juin 2014, La Papa’s Production a ouvert des locaux à des entrepreneurs culturels, selon des modalités qui varient au mois et à l’année, parfois à la journée (cinq euros). L’attractivité du TETRIS (et donc du Havre) commence à se faire connaître en Vallée de Seine jusqu’à Paris. Marlène Renault, secrétaire de l’association MARC (Médiation Agglomération Réseau Culture[17]) rédige une thèse en sociologie sur l’attractivité des grandes villes des estuaires : Le Havre, Nantes, Montréal, Lisbonne. Sous une double direction (géographie/sociologie) elle a pu faire accepter la façon mixte (audiovisuelle et écrite) de son travail de recherche, qu’elle associe étroitement à la perception artistique des lieux. Cette mixité se retrouve dans le cofinancement de la thèse : une agence d’urbanisme (l’Agence d’urbanisme de la région du Havre et de l’estuaire de la région du Havre et de l’estuaire de la Seine-AURH) et la Fondation francophone SEFACIL[18] dédiée aux recherches maritimes et portuaires. Chloé Ponsi, grandie à Étretat et formée à l’université de Lille en gestion culturelle, part en mission humanitaire au Vietnam et espère développer des projets sur la côte Manche et Atlantique.
À Fécamp, Muriel Robine, de l’association Coverdressing, imagine une ligne de sacs et de vêtements ergonomiques dont la facilité d’usage ne discrimine pas les handicapés, souvent mal à l’aise dans des vêtements inadaptés[19]. Sa démarche attentive touche au bien-vivre quelque deux millions de personnes, laissés pour compte des enseignes vestimentaires classiques. Elle négocie avec de grandes enseignes, telle Kiabi, pour transformer leurs approches des publics et des usages. Malgré une reconnaissance et des labellisations récentes, la structure est fragile, en recherche d’alliances multiples (public/privé/associatif). Cette initiative innovante, portée à bouts de bras par Muriel Robine, devrait trouver des partenaires nationaux. Petit à petit, les handicapés trouvent des relais et des porte-paroles dans des secteurs qui se diversifient. Dans une philosophie analogue, le projet européen Art for All[20], lancé 2013 par le Centre de la Gabrielle Mutualité de la Fonction Publique, présenté ici au Havre par Sylvie Dallet, réunit des structures de sept pays européens autour d’une idée démocratique forte : faire accepter les adultes handicapés mentaux et psychiques dans les écoles d’art et faire accéder ces hommes et ces femmes en difficulté à un enseignement artistique et culturel (musées, galeries, ateliers, marché de l’art). Cette revendication égalitaire réclame également pour les accompagnateurs, des formations spécifiques universitaires qui leur permettent d’épanouir ces talents, dans le respect de leurs différences.
Nolwenn Arquer et Leslie Egressy, en mamans solidaires, férues d’art, d’activités conviviales et de cuisine goûteuse, ont lancé au Havre un étonnant Café lecture associatif Kid & Pote, qui associe les enfants aux adultes par des jeux et des lectures collectives en ateliers. Ce projet n’a pas d’équivalent en France si ce n’est le Cafézoïde parisien[21] : ce n’est en effet pas une crèche où on dépose les enfants, mais une véritable entreprise relationnelle aux talents mutualisés, qui accompagne par des activités, les parents et les enfants. Cette démarche reste proche de celle de Mathilde Milot, qui vit désormais de son étonnant Musée Citémômes qui de son espace de neuf mètres carrés, organise des activités pour les enfants de Rouen. Cependant, les deux associées peinent à trouver un local fixe, suscitant des manifestations sporadiques, par escales urbaines erratiques. Cette déambulation par le Havre, soutenue par la générosité des magasins de jouets et des amis, stimule autant qu’elle affaiblit la structure : obligées de se renouveler dans un esprit de recherche, mais dans l’impossibilité d’aménager un lieu dédié qui fidéliserait un public et permettrait d’envisager un avenir serein. La discussion qui a suivi, autour de ce nouveau service public qui se dessine, a orienté la démarche vers des quartiers spécifiques, sur de petites villes du pourtour du Havre, sans rabattre de l’ambition première du projet.
Valoriser les patrimoines
Le fort de Tourneville est l’exemple havrais d’une rénovation rondement menée (2013) qui expérimente, de part et d’autre des activités de conservation et d’archivage municipal, un certain nombre d’activités issues de la musique (labels et concerts) grâce aux associations La Papa’s Production avec le TETRIS et CEM (Centre d’Expression Musicale) avec le SONIC, des résidences de plasticiens et des écoles de musiques alternatives[22]. Hélène du Bouchaud du Mazaubrun conjugue la responsabilité muséale de l’étonnant Musée de l’Horlogerie de Saint Nicolas d’Aliermont (près de Dieppe) et des activités de muséographe free-lance : elle anime le réseau Scéno&co[23], association à but non lucratif, rassemble les institutions culturelles qui souhaitent donner, prêter, ou recevoir des éléments scénographiques d’exposition, afin de leur donner une seconde vie et d’éviter leur mise au rebut. Le réseau Scéno&co propose ainsi une démarche écologique, économique et mutualiste, répondant à un besoin culturel contemporain.
L’énergie de ses initiatives peuvent se comparer à celles de l’urbaniste Gilbert Schoon, directeur du Musée de l’Histoire Vivante jusqu’en 2014 et, en même temps, nouvelliste et historiographe de la ville de Montreuil.
Le Musée d’Histoire vivante (Seine Saint Denis, Montreuil) et le Musée de l’Horlogerie (Seine Maritime) sont en effet des musées rares, de taille modeste, pleinement déployés sur des activités diversifiées (exposition, gazette, archives, mémoire locale, accueil chercheurs, périscolaire, site internet). Leur rayonnement persistant peut interpeller les politiques sur les spécificités locales reconnues à l’international. Le musée de l’Horlogerie, unique en Normandie, retrace à travers des collections diversifiées (photographies, archives, instruments) les savoirs faire des horlogers qui se sont installés et prospéré près de Dieppe depuis deux cent-cinquante ans, avec notamment la société de précision Bayard. Gilbert Schoon, venu de Montreuil, explique la création du Musée d’Histoire Vivante à partir d’une collecte de la mémoire ouvrière, communiste et libertaire depuis 1937 : les collections hétéroclites régulièrement enrichies sont ouvertes aux chercheurs et sont mises en scène lors d’expositions internationales, qui attirent des visiteurs des États-Unis, du Royaume-Uni comme du Vietnam….sans pour cela être bien connues de la capitale parisienne.
Cécile Villiers arrivée ce jour du pays de Marennes-Oléron en covoiturage avec Alexis Durand-Jeanson, explique combien la créativité de groupe l’intéresse, dans la dynamique des ateliers collectifs d’antan. Alexis Durand Jeanson, proche de la Plate-Forme Créa &T auquel il participe régulièrement depuis plusieurs mois, codirige l’Agence Prima Terra depuis 2010, dont la première antenne est basée à Aigre, près d’Angoulême et la seconde à Marcilly sur Eure, près d’Évreux. Sa vocation de développer des projets patrimoniaux décloisonnés a conduit Alexis Durand-Jeanson à se rapprocher de la dynamique impulsée par Jacky Denieul en Poitou-Charentes, sur la base de rencontres transversales menées sur des lieux insolites. De fait l’Agence Prima Terra se déplace et nomadise, à la rencontre des personnes ressources, comme en ce début de septembre, sur des jardins partagés à Saint- Ouen, en partenariat Plate-Forme. L’Agence Prima Terra organise désormais des petites et grandes formes de rencontre de terrain, en dialogue avec le savoir-faire territorial et relationnel de Jacky Denieul. Ces formules signalées sous des titres, tels que Terres créatives, cherchent à faire dialoguer en innovation les modalités du patrimoine : ruralité, jardins, environnement…
Lancer la ligue des lucioles
Les dialogues ont porté sur les liens tissés entre ces jeunes créatifs, disséminés sur les ports qui dans les domaines du patrimoine, de la solidarité sociétale, de la création artistique. Une première réponse nous a été directement donnée, dans la qualité de la présence collective: les discussions, l’échange des mails, des adresses et des téléphones sont l’amorce, en confiance, d’échanges futurs. À partir de cette démarche, qui atteste de la réussite de la Journée cassé/bleu des visites se feront directement entre les uns et les autres, selon les projets et les affinités particulières. Dans la logique des événements à venir (dont le prochain anniversaire de la Fondation du Havre de grâce) certains projets collectifs vont émerger : projets d’économie bleue, solidarités de proximité, embellissements, qui feront avancer les liens entre des équipes municipales motivées et des associations de la société civile. Natalie Castetz, auteur de « l’antiguide touristique », S’installer au Havre-Seine-Estuaire (2012), faisait remarquer que les liens d’idées entre l’administration et les associations créatives est de nature pérenne, quelques soient les politiques.
Par ailleurs, la géographie portuaire, dans son brassage maritime, favorise la créativité et l’audace. Au Moyen Âge pour mémoire, les compagnies marchandes du Nord et de la Baltique, lasses de batailler contre la double menace des féodalités du plat pays et celle des pirates détrousseurs des mers, s’étaient organisées dans une guilde ou Hanse, qui du XIème au XIXème siècle, a construit la prospérité des villes côtières. S’appuyant sur les marchands, les villes ont pris peu à peu leur autonomie démocratique, se regroupant par comptoirs et conseils, qui, en période d’apogée hanséatique réunissait sous un gouvernement commun, quelque trente-cinq cités opulentes de Lübeck à Reval (aujourd’hui Tallinn), aux portes de l’empire russe. Suggérons pour les créatifs culturels, nouveaux nomades polyvalents des savoirs de haute mer, la fondation d’une hanse contemporaine, une ligue des Lucioles, qui dans l’obscurité de la crise qui monte, peuvent éclairer les routes de leurs fragiles et inattendues lumières. Pour tracer les contours du symbole, les lucioles se nourrissent de limaces et d’escargots qu’elles paralysent. Fragilisées par les insecticides et la pollution lumineuse qui en les éclairant trop fort, les tue, la renaissance des lucioles, tant espérée par le cinéaste Pasolini, témoigne de la qualité des espaces naturels mis à leur disposition. Cette « ligue (ou guilde) des Lucioles », initiative humaniste et circulante des savoirs faire et des expériences normandes, tempérerait la traditionnelle rivalité de pays entre Rouen et le Havre, redonnant à Caen et Cherbourg leurs rôles d’avant-gardes, associant Étretat, Fécamp et d’autres villes que la mer stimule, dans le jeu changeant de ses horizons. La proposition poétique a été immédiatement adoptée, en cette oasis du MuMa. Sur quelles modalités ? Nous aurons le temps d’y penser. N’y a-t-il pas déjà signe de ce renouveau dans la désignation européenne du Havre en 2005 à la tête du projet de rénovation portuaire « Hanse-Passage » (Faire la Ville avec le Port) ? Le demain des enjeux est un autre jour des énergies.
La Terre est bleue comme une orange
Fin septembre 2014, la ville du Havre renouvellera sa réflexion collective autour de « l’économie positive » lancée voici trois ans sur le site par Jacques Attali, accompagné de l’entreprise audiovisuelle participative Shamango, avec laquelle un autre membre de la Plate-forme Créa&T, André Brouchet, collabore. Gunther Pauli viendra pour travailler à des projets concrets, armé de ses Fables et Fazette Bordage participera d’une réflexion collective sur la « co-construction ». L’an dernier ce Forum avait plébiscité l’initiative démocratique qui avait décidé de transformer l’état sanitaire de l’Inde en libérant la caste des intouchables de ses « obligations » de nettoyage des latrines. Tout est affaire de passion et de raison, mais aussi d’engagements de terrain. En Belgique, l’expression être « bleu de quelqu’un » signifie être fou amoureux. En France, « être dans le bleu », c’est donner sa part au rêve, matrice des projets créatifs. Le bleu est une couleur démocratique, qui conjugue l’éthique avec le goût.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : s’inspirer de notre environnement, autrement dit de ce qu’opère la Nature dans sa diversité, pour reconstruire un modèle économique cohérent et solidaire. Le bleu, le mauve, le vert, l’orangé et le rouge annoncent le noir de la germination. Rappelons qu’un petit pays balte, récemment entré dans l’Union européenne, L’Estonie arbore un drapeau d’indépendance (crée en 1884) bleu, noir et blanc, contre le drapeau rouge russe dont il s’est séparé sans violence en 1991. Le bleu estonien représente la fidélité et le dévouement, en concret rappel du ciel, de la mer et des lacs du pays. Le noir symbolise la terre, en même temps que le passé sombre et les souffrances endurées par le peuple estonien. Le blanc fait référence à l’aspiration vers l’illumination et la vertu; couleur de l’écorce de bouleau et de la neige, elle évoque aussi pour la symphonie balte, les soirées baignées du soleil de minuit. Tant de références culturelles et symboliques pourraient faire sourire, mais l’Estonie, passionnée de nature et nantie d’une langue finno-ougrienne difficile à traduire, caracole en tête des pays pionniers en informatique, et arbore un taux de chômage les plus bas du monde. C’est également un des seuls pays d’Europe qui accorde le droit de vote aux étrangers résidents. N’est-ce pas le retour de l’arc en ciel dans le monde « gris fer » de lance de la finance ?
Pour résumer philosophiquement les couleurs de notre rencontre havraise, nous y avons ressenti une conjonction de questions et d’espoirs, liés à la responsabilité politique et civile. Vouloir développer la créativité publique, mutualiser les bonnes pratiques et miser sur la qualité des personnes (et des initiatives innovantes) suppose des expertises multiples menées sans clientélisme. La méthode heuristique qui consiste à sortir de chez soi, croiser les regards et les expériences et enraciner la prospective dans une réelle amitié des personnes conduit à une politique respectueuse, qui se défie désormais des blasons belliqueux des tigres, des ours et des chimères. Entendre un monde qui bouge, avancer dans le bleu- nuit de notre monde, comprendre les signaux faibles que la société nous envoie, suppose, au-delà du politique, une modestie de luciole, une vivacité d’hirondelle et une persévérance d’abeille.
[1] « Ce que je veux, c’est faire quelque chose de neuf et de durable. », Auguste Perret, octobre 1945.
[2] Ce Pont Mathilde rouennais porte le nom de Mathilde, fille d’Henri 1er d’Angleterre et petite fille de Guillaume le Conquérant. Il ne faut pas le confondre avec l’ancien Pont Mathilde, d’où furent jetées les cendres de Jeanne d’Arc en 1431 (cité in Wikipédia).
[3] « Le caractère volontairement informel de l’expérience humaine de la Plate-Forme « Créativités & Territoires », lui permet d’apporter aux lieux et collectivités qui le désirent, une expertise extérieure qualitative, relative aux expériences originales et créatives menées sur site. De fait, les membres de la Plate-Forme, dans leur libre renouvellement migratoire, apportent une contribution vivante à ces rencontres vagabondes » (cf. descriptif www.institut-charles-cros.eu)
[4] Fazette Bordage participe des expériences nomades de la Plate-Forme Créa &T depuis 2009 et son action a été commentée particulièrement lors de notre présence à Mains d’œuvres (Saint-Ouen, rencontres 17 et 33) et au Polau de Saint-Pierre-des Corps (rencontre 25).
[6] Avec le titre de Déléguée à la dynamique artistique et culturelle de la ville du Havre.
[7] http://www.marseille.fr/siteculture/les-lieux-culturels/musees/le-preau-des-accoules et http ://www citemomes.fr/
[8] Définition Wikipédia.
[9] Franck Lepage est l’un des fondateurs de la coopérative d’éducation populaire Le Pavé. Militant de l’éducation populaire, il a été jusqu’en 2000, directeur des programmes à la Fédération française des Maisons des jeunes et de la culture et chargé de recherche associé à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Il réalise depuis 2010 des « conférences gesticulées », où il dénonce par l’absurde les principes des logorrhées contemporaines. (cf. : Wikipédia et You Tube)
[10] « La Créativité est un art social », article de Sylvie Dallet en ligne sur le site Europe créative, 2012.
[11] L’Abécédaire Territoria, 25 ans d’innovation dans les territoires, Observatoire Territoria/Éditions du Secteur Public, en partenariat avec l’AMF, 2013. Territoria (président sénateur Alain Gournac, vice-présidente ministre Anne-Marie Escoffier) entre en partenariat avec de nombreuses structures relais d’évaluation, dont l’Association des Maires de France.
[12] Réseau des Pratiques d’écritures créatives à l’université. Un de ses pilotes, Anne-Marie Petitjean a participé du colloque international franco-tunisien de la Manouba (avril 2013) consacré aux Ressources de la Créativité. Ce colloque, enrichi de communications complémentaires (dont celle d’André Jaunay, business Angel et intervenant sur la Plate-Forme Créa &T), sera publié fin 2014 (collection Éthiques de la Création-Institut Charles Cros/Harmattan) sous la direction de Kmar Bendana, Sylvie Dallet, Fadhila Laouani.
[14] http://www.ptaleas.fr
[15] http://www.clairelebreton.com/ et site en construction : http://www.lminuscule.com/
[18] La Fondation SEFACIL, hébergée par la Fondation de France, vise « à polariser les savoirs et les intelligences du monde francophone et francophile à travers le développement de projets de recherches appliquées réunissant des équipes pluridisciplinaires. La fondation accompagne la création de produits pédagogiques innovants grâce au soutien des entreprises privées des secteurs portuaire, maritime et logistique ainsi que des organismes et institutions publics nationaux et internationaux. ». Cette fondation récente entend « valoriser le capital intellectuel de la recherche académique avec le capital d’expériences des praticiens issus de l’entreprise et des services publics » dans les domaines de la logistique, du maritime et du portuaire.
[19] http://www.coverdressing.com/lassociation/ sur le site de l’abbaye du Valasse et le site http://tropheesfondation.edf.com/associations/collectif-autour-du-vetement-ergonomique
[20] www.Art for all.eu. Coordination Hélène Paveto Martinez, leader Bernadette Grosyeux, pays associés : Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, France, Italie, Pays-Bas. Partenariat Qualité Institut Charles Cros.
[21] Sis au 92 quai de Loire, le Cafézoide est un Café culturel à destination des enfants jusqu’à 16 ans et de leurs familles.
[22] Le Fort rénové après un long sommeil, abrite les Archives municipales, la bibliothèque scientifique du Muséum d’histoire naturelle et de nombreuses associations culturelles comme la Société Philatélique Havraise, le centre havrais de recherche historique, le Société Havraise d’études diverses, le Groupement généalogique du Havre, la Société normande d’études numismatiques ou encore l’Atelier de musique. Deux salles de concert, des studios d’enregistrement, une galerie un restaurant (TETRIS) occupent l’enceinte du Fort, côté ouest. Côté est, le SONIC propose six locaux de répétitions, un bâtiment administratif abritant un espace d’accueil, des bureaux, des espaces de stockage et une scène pédagogique dédiée à la répétition. Dix plasticiens, un espace de création d’art sonore « PiedNu », occupent des alvéoles ; deux écoles de musiques jazz/musiques du monde le Jupo musiques contemporaine AMH, I love Lh qui chaque année rassemble les artistes havrais amateurs et professionnels …
No. 1 — avril 19th, 2015 at 14:32
Très bel article de Sylvie DALLET et très profond aussi, témoignant du bleu de l’azur comme terrain de jeu pour les artistes, mais aussi de l’économie Bleue de Gunther Pauli qui révolutionne, sans grand bruit, le monde… Le Hâvre ouvre des horizons heureux, grâce à Fazette et quelque autres. Vive la METAMORPHOSE !