Émile NOËL, notre ami
vendredi, 24 mai 2024
Émile NOËL, notre ami
L’annonce de son décès près de Montauban, dans une grande discrétion, nécessite quelques rappels des qualités de cet homme, notre ami et vice-président de l’Institut Charles Cros.
Tour à tour, Sylvie Dallet, Georges Chapouthier, Gilbert Schoon, puis Guillaume Legrand, Ruth Scheps et bientôt d’autres, nous l’espérons, écrivent quelques mots en l’honneur de celui que la notice de la Bibliothèque nationale décrit sobrement comme suit :
« Comédien et auteur dramatique. — Psychanalyste, docteur d’État en sciences humaines. — Codirecteur du festival de Vaison-la-Romaine (1953-1974), directeur de “Groupe actuel” puis “Atelier actuel”. — Chercheur-formateur à l’INA (1975-1992). — Auteur de programmes audiovisuels (1956-1998) d’information scientifique ; producteur et réalisateur radiophonique à France Culture. — Président du festival des Hivernales et vice-président de l’Institut Charles Cros (depuis 2009)
Sylvie Dallet : Un regard bleu, un homme intègre
« Émile Noël, le discret avait une œuvre énorme. Nous devrions compléter cette liste officielle des 27 publications d’Émile (publications scientifiques et romans), de ses quatre spectacles, dont le premier « Travaillons du chapiteau » (1960), portait en lui toute cette distance pudique que l’on percevait en l’approchant, Humour et Tendresse. Parfois en colère, de voir le monde tourner en boucle et les « cons » envahir notre espace.
À bien y songer, ce 27 est un chiffre émilien : 27 est à la fois le cube parfait (33) et le premier nombre composé qui n’est divisible par aucun de ses chiffres. Il correspond aussi au nombre total des livres du Nouveau Testament, le numéro atomique du cobalt, le résultat magique d’un carré magique d’inverses des nombres premiers des multiples de 1/7…
Le 27 à une histoire secrète qui colle au destin caustique, érudit et jubilatoire d’Émile, quoique le Nouveau Testament ne l’inspira guère. En 1999, Émile Noël publiait chez Actes Sud un récit intitulé simplement : Vous. Ce Vous était accompagné d’un résumé énigmatique : « Insolites – et demeurées sans réponse – les lettres du Vieux Monsieur se présentent d’emblée comme un traité d’antimorale, chaque missive s’assignant pour objectif de faire un sort au monde contemporain tel qu’il ne va (vraiment) pas ou tel qu’il va vraiment (mais pas là où l’on croit et sans que personne s’en aperçoive) ».
Pour mémoire, Émile était venu à ma rencontre, en une année incertaine, alors qu’ayant fondé le Centre d’Études et de Recherche Pierre Schaeffer à Montreuil (1995-2003), j’avais plaisir à parler avec les personnalités qui avaient partagé avec Schaeffer les aventures du Service de la Recherche. Je suppose qu’après m’avoir observée, il était resté, comme un chat qui retrouve sa maison. Puis, à ma demande lors de la création du premier Institut Charles Cros (UFR « Arts & Technologies », 2001-2006) dans le prolongement institutionnel du Centre Pierre Schaeffer, il avait enseigné aux étudiants, les principes de la créativité scénarique, qu’il appelait « l’écriture sous contrainte ». Un jour, il décida d’organiser avec les étudiants une série d’exercices avec lesquels il conçut un viatique filmé des gestes du conteur. Cet enregistrement (où est-il aujourd’hui ?) s’effectuait, semaine après semaine (parfois avec la présence de son ami le conteur Pépito Mateo), en soirée dans notre bâtiment du Val d’Europe, mis à disposition de l’Université de Marne-la-Vallée par les élus locaux.
Lors de la fondation de l’Institut Charles Cros comme association loi de 1901 (2006) suite à la pulvérisation de notre collectif universitaire, Émile renouvela les engagements de sa fidélité ancienne et devint vice-président de la nouvelle structure, attentif aux négociations avec l’Harmattan et les projets de recherche internationale que je lançais sous le titre : « Éthiques de la création ». Dans cette toile qui se déployait de nouveau, au nom de la liberté, de la transversalité des expériences et de la créativité citoyenne, Émile s’associa avec Georges et moi, pour fonder la collection homonyme « Éthiques de la création », coéditée avec l’Harmattan. Les années passèrent, dont il participa de toutes les aventures de l’Institut à Paris, Montreuil, Dornecy, Chavaniac-Lafayette pour le Festival des Arts Foreztiers, comme à Vimpelles.
Deux livres à direction multiple éclorent en la maison : La Création définitions défis contemporains (Dallet/Chapouthier/Noël) qui inaugurait la collection «Éthiques de la création », puis en 2012, Les Territoires du sentiment océanique (Dallet/Noël).
En 2012, c’est lui qui vient me chercher pour écrire à plusieurs mains les Territoires du sentiment océanique, pour lesquels il créa un jeu mythique, imprimé en fin de notre ouvrage. Jeu auquel je ne compris goutte, mais qui le passionna comme il s’était passionné naguère pour les expériences de mort imminente. Celui qui avait exercé naguère en psychanalyste, écrivait ainsi (Vous) : “Chaque fois que je pars, voyez-vous, même pour mes partances immobiles, toutes ces déchirures sortent leur mouchoir.”
Retiré principalement à Vimpelles, en sa grande maison de Seine & Marne encombrée de livres, il continuait, après le décès tragique de son épouse Lahouria, un travail d’écriture personnelle au travers de son blog, Emilius Ankylosorus et il avait fondé pour continuer sa pensée les éditions de l’Émilius. Nous recevions régulièrement de lui par la poste, des récits courts tissés de souvenirs et de prospective inquiète, tel cet ouvrage de 2019 dont le titre était un simple point d’interrogation… ?
Émile explorait l’énigme du monde dont il arpentait les confins au travers des formules telles que : « il vendait des lignes de la main pour aller à la pêche au destin ». Là encore, la tristesse pointait ses griffes : « Le dérisoire est encore ce qu’il y a de plus sérieux ». C’était un homme qui suggérait d’être fidèle aux choses, d’accepter les fêlures et les incertitudes. Il écrivait “Je suis un sans solution, comme je suis un sans père. Allez vous étonner que je fasse des rêves d’enfermement… (…) Ne faites-vous jamais de ces rêves ?” Son dernier petit texte transmis en avril dernier portait ces mots : « Sylvie, j’ai lu tes Covidiennes de la joie . Ça m’a mis en joie. J’en avais bien besoin parce que, figure-toi, je partage mon temps entre le lit et le fauteuil : mes jambes ne me portent plus (…) ya plus gai…
Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit (2020). J’ai pourtant dans la tête un thème : une sécheresse endémique qui supprimerait toute vie sur la terre. Je ne sais pas si j’y parviendrai…J’ai créé, il y a dix ans, ma propre maison d’édition : « Sylvius Édition ». Si je réussis à écrire « Sécheresse » avant de passer de l’autre côté, je t’enverrai un exemplaire. Voilà. »
Voilà. Celui que sa compagne Laouhia, trop tôt disparue, appelait affectueusement Nono et lui, le regard tendre, répondait en écho : « j’aime son rire en O ».
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Souvenirs d’Émile Noël, par Georges Chapouthier (Docteur ès-Sciences [biologie], Docteur ès-Lettres [philosophie], Directeur de Recherche émérite au CNRS, membre du Bureau de l’Institut Charles Cros)
« La Mémoire (Émission d’Emile Noël), France Culture, l976. Cette formule saute tout de suite aux yeux dans mon curriculum, puisque c’est la première interview, dont, alors jeune chercheur au CNRS, j’ai bénéficié.
Depuis cette date, mes rapports avec Emile Noël ont été très nombreux : innombrables interviews, dont il m’a fait bénéficier au cours de ma carrière, mais aussi des colloques auxquels il m’a fait participer, comme cet étonnant ensemble de spectacles sur la danse moderne, lors d’un festival à Avignon en 1998[1].
Au fil des années, au-delà du journaliste étincelant, j’ai aussi découvert l’esprit largement ouvert sur des facettes de la pensée et de l’art, auteur de nombreux ouvrages de réflexion sur la science ou les phénomènes mal connus de la science (voir, par exemple, le livre Les portes de Thanatos [consacré à la Near Death Experience, NDE], Éditions Eshel, 1993)[2], de livres anthologiques sur la pensée scientifique, auxquels il m’a fait l’honneur de me faire participer[3], mais aussi de recueils très originaux, de nouvelles pleines de fantaisie et d’humour. Emile Noël m’a aussi présenté à des acteurs de la culture, ses amis, avec qui j’ai, à nouveau, effectué, un bout de chemin, comme Sylvie Dallet[4]. Enfin, au-delà de ce long parcours scientifique et littéraire commun, émaillé d’innombrables discussions, rencontres ou repas, je voudrais souligner les intenses rapports d’amitié qui m’ont lié, tant d’années, avec celui qui, à certains égards, peut être considéré comme un de mes maîtres à penser.
[1] G. Friedenkraft, Lotus en Avignon (chronique), Jointure, 1998, 58, pp 70-71.
[2] Voir, par exemple, le livre : E. Noël, Les portes de Thanatos (consacré à la Near Death Experience, NDE), Éditions Eshel, 1993. Compte-rendu dans : G.Chapouthier, Les Cahiers rationalistes, 1993, 479, page 27.
[3] G.Chapouthier, « Encore plus complexe (le cerveau) », dans Au-delà 2001, Odyssée de l’esprit, sous la direction de Émile Noël, Georg éditeur (Suisse), chapitre 6, pp 65-75 ; G. Chapouthier, Réflexion sur le vécu de la mémoire et sur les neurosciences, dans Dire, raconter (par Emile Noël), Éditions 24×36, 2006, pages 197-200.
[4] S. Dallet, G. Chapouthier, E. Noël (sous la direction de), La création, définitions et défis contemporains, Institut Charles Cros/L’Harmattan, 2009
Souvenirs de Gilbert Schoon (historien, maître d’ouvrage, trésorier de l’Institut Charles Cros)
J’ai eu la chance et l’honneur de rencontrer Émile Noël un soir de 2011, lors d’une réunion chez Sylvie Dallet de l’Institut Charles Cros. Il y fut question du sentiment océanique. Je fus littéralement subjugué par cet homme à la voix douce qui expliquait des idées complexes qui semblaient, après l’avoir entendu et compris, d’une simplicité totale.
La réunion terminée, nous avons fait route ensemble dans les rues de Montreuil et de Vincennes pour regagner nos domiciles. Ce fut une promenade enchanteresse, philosophique, scientifique, empreinte d’humanité. Il parlait doucement avec passion. Si je n’avais pas compris ce qu’était le sentiment océanique, à ce moment-là je le vivais.
Nous nous sommes rencontrés régulièrement, j’avais toujours ce même plaisir à l’entendre parler, lui le maître, moi l’élève.
J’attendais avec impatience les ouvrages qu’il rédigeait et qu’il ne manquait pas de m’envoyer, accompagnés d’un petit mot gentil.
Toutes ces choses sont finies, hélas.
Avec toute mon admiration et mon respect, Noël !
Guillaume Legrand, (Décorateur, ancien secrétaire général de l’Institut Charles Cros, formateur)
Hommage à Émile Noël
Émile Noël n’aura jamais été jeune pour moi qui ne l’ai rencontré qu’à partir de
2011. Il avait tout de l’homme accompli, respectable et remarquable… comme on peut le dire de certains arbres.
Il avait tout de leur stature et ramure : tout à la fois ancré dans le sol et déployant son multiple savoir en autant de branches toujours vertes et stimulantes.
C’était certainement un Humaniste digne de la Renaissance, par sa curiosité, ses connaissances scientifiques et expérimentales, ses ouvrages lettrés et poétiques.
Par son écoute, il entendait et comprenait les divers langages, cherchait à percer leur puissance et leur énergie sereine.
– un arbre en marche –
tel était Émile Noël, et à hauteur d’homme, nous avions l’assurance d’être en présence d’ « une belle personne ».
IN MEMORIAM
Ruth SCHEPS, Productrice Radio France Culture
Comment rendre compte en quelques lignes des multiples émotions et pensées qui se bousculent en moi depuis le grand départ d’Émile Noël ? Après le premier chagrin lié à la conscience du « jamais plus », viennent les souvenirs, en ordre dispersé mais dominés par les sentiments de gratitude et d’admiration. Gratitude pour la confiance qu’il me témoignait, et pour tout ce qu’il m’a généreusement transmis, sans aucun paternalisme et dans le respect de nos différences. Admiration pour ses qualités intellectuelles et morales au sens large : une insatiable curiosité qui le poussait à explorer tous les champs scientifiques, une rigueur doublée d’humilité dans sa manière de s’entretenir avec les spécialistes, enfin une fécondité et une imagination créatrices allant bien au-delà de la sphère scientifique.
Nous nous étions connus vers le milieu des années 70, aux « Après-midi de France Culture », une équipe pluridisciplinaire excellemment dirigée par Pierre Descargues. Nous y étions tous deux producteurs délégués, lui chevronné, moi débutante venue de la recherche et qui avais tout à apprendre de ce nouveau métier. Au fil du temps, notre collaboration devint de plus en plus étroite, jusqu’à codiriger une émission scientifique pendant un an.
Dans les années 80 et 90, le fait que plusieurs séries d’émissions scientifiques et philosophiques d’Émile avaient donné lieu à des livres d’entretiens (notamment au Seuil) m’encouragea à faire de même, sous son regard bienveillant. Alors qu’il dirigeait aux éditions Eshel la collection « La Question », il me proposa d’écrire un livre d’entretiens avec une personnalité scientifique de mon choix ; ce fut Rita Levi-Montalcini, prix Nobel de médecine, et il en résulta La science citoyenne. Rita Levi-Montalcini à la question par Ruth Scheps, paru en 1994 – entretiens qui connaitront bientôt une nouvelle édition en ligne (éditions MnemoArt), dédiée à la mémoire d’Émile Noël.
Le « vieux monsieur » n’est plus, mais il nous laisse en héritage l’éternelle jeunesse de son esprit !
Ruth Scheps
No. 1 — septembre 6th, 2024 at 03:45
Un grand merci pour cet article qui rend hommage à mon oncle Émile…(Je suis sa petite nièce par alliance, côté Lahouria). Et par la même occasion j’apprends sa mort, il ne m’écrivait plus depuis au moins 2/3 ans et moi et ma famille cherchions à le joindre, sans succès. J’aimerais échanger avec quelqu’un si possible, pour en savoir davantage. Merci à vous.