Des Cafés numériques aux Arts ForeZtiers, des Arts aux Cafés

Lors du séminaire du 10 octobre 2018, « Éthiques & Mythes de la Création »,  consacré à la création collective en France, la sociologue Céline MOUNIER a fait une allocution que nous reproduisons ici. Céline Mounier, attentive à l’espace de liberté interdisciplinaire de l’Institut Charles Cros, en est devenue membre en 2018.

 » Je suis sociologue avec un parcours de la recherche à l’université, en laboratoire de recherche dans mon entreprise, au commerce et au marketing. J’exerce mon métier en sociologie de l’entreprise, mon maître en sociologie a été Renaud Sainsaulieu, notamment avec ses travaux sur la création institutionnelle, et ma thèse s’est inscrite dans cette mouvance sous le titre « La responsabilité au travail, et en ethnographie des usages de l’univers numérique », et là, mon modèle, c’est Germaine Tillion, surtout pour ses travaux en Algérie, quand elle s’engage dans la création des centres sociaux éducatifs. J’ai créé les cafés numériques d’Orange et je les dirige.

Je fais en sorte de faire du bon café dans un café agréable. J’aime accompagner, à vendre mieux des produits, par exemple la messagerie vocale par SMS, à apporter ma pierre à l’édifice pour améliorer des services, par exemple le bon vieux mail, tout en considérant le rôle sociétal d’Orange : par exemple sur le rangement de nos armoires numériques, mieux vaut poubelliser que continuer à raser les Appalaches. Chaque café est un morceau de démocratie participative et des moments d’intimité des usages. Cela se passe en ligne. Autant dire que j’ai une grande expérience de l’animation de conversations en ligne.

Il y a deux ans, j’ai découvert le Festival des Arts Foreztiers. J’y allais en vacancière heureuse festivalière. J’accompagnais mon compagnon qui y exposait des photos. Je l’avais aidé à préparer son exposition. Mes enfants étaient avec nous. J’y ai découvert un beau lieu de recherche-création, associant artistes, conférenciers, conférences et performances, je me suis même trouvée embarquée dans une performance. Je découvre aux Arts Foreztiers une forme singulière de recherche-action. Cette année, c’est tout naturellement que je suis devenue community manager pour les Arts Foreztiers et sociologue enquêtrice auprès d’artistes et d’une galeriste autour d’une énigme : comment faire collectif sur le thème 2018 du Bestiaire enchanté ?

Détail d’un ensemble « Regards animaux », peint par Isabelle Lambert pour les Arts ForeZtiers 2018

Ce sujet entre en résonance forte avec des préoccupations écologiques, des questions sur le changement de paradigme économique auquel nous devons faire face. En somme, j’apporte aux arts foreztiers une partie de mon savoir-faire du web, une joie de refaire une enquête avec carnet et crayons dans des cafés et galeries, une joie dans un certain optimisme tragique quand je regarde les animaux peints d’Isabelle Lambert qui nous regardent en retour.

Quand je retourne au café, je ressens un besoin fort de rencontrer des membres de la communauté que j’anime. J’organise des entretiens sur le sens de la participation aux cafés numériques. De plus, je repose avec une acuité nouvelles des questions sur le sens du café. Je suis dans une entreprise qui dispose d’un dispositif large d’écoute de ses clients, dont font partie les cafés numériques. Le sens du café c’est d’être un morceau d’espace public, un temps de point d’orgue dans nos temps d’accélération technologique, et, pourquoi pas des moments de décélération ? J’ai une vue écologique de mon travail. Et je devrais faire plus attention à ma santé et travailler moins, tout en faisant mieux collectif pour faire espace public. Tous ces éléments sont regardés avec une acuité nouvelle. Il est certain que l’esprit des arts foreztiers y est pour quelque chose.

Étonnamment, peu de temps après la fin du festival des Arts foreztiers, une collègue me demande de faire une enquête dans une des entités de mon entreprise, un véritable diagnostic sociologique d’une situation autour de ses transformations organisationnelles. Et voilà que je me surprends à demander en entretien, « si telle forme organisationnelle était un animal, lequel serait-il ? » et à constituer un bestiaire qui révèle beaucoup de choses sur les représentations des personnes. Je pense alors aux regards des animaux. Je ne peux pas m’en empêcher quand les personnes s’animent, quand elles expliquent pourquoi elles choisissent tel ou tel animal.

Avec Albert David, professeur en sociologie de l’Innovation à Dauphine[1],  nous avons réfléchi sur les cafés, les arts et d’autres lieux que nous avons considérés comme des créations institutionnelles singulières, comme des cercles collaboratifs dans lesquels des personnes se retrouvent pour poser des énigmes, leur apporter des réponses et des créations. Des arts aux cafés, des cafés aux arts, il y a des fils qui se tendent, des fils qui forment un réseau. Je pense à un tableau avec un singe sur un fil. C’est peut-être un réseau de résistance créatrice.  »

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[1]Albert David est déjà intervenu lors de la séance 2016 du séminaire Éthiques et mythes de la Création sur le thème «Prospective et impensés de l’innovation ».

Albert David et Céline Mounier viennent de présenter en octobre 2018 à Montréal une communication  » Lost in middlegrounds ? quatre études de cas de créativité française institutionnelle ». En voici l’introduction  :

« Nous considérons quatre lieux dont nous nous disons qu’ils sont des terreaux d’innovations : le Cercle de l’Innovation de l’université Paris Dauphine, Dream Café – le café numérique d’Orange -, le festival des Arts foreZtiers de Chavaniac-Lafayette et la Communauté d’innovation de Renault. Nous choisissons ces quatre lieux à la fois parce que nous les connaissons bien de l’intérieur et parce que nous pensons qu’ils sont des middlegrounds intéressants. Ils ont une certaine durée d’existence. Il s’y passe des choses inédites. Leurs participants peuvent “explorer des inconnues”. C’est qu’ils sont motivés par cela. Il se fabrique de la reliance et des places pour chacun. Ils y créent des choses qui deviennent des communs et forment des morceaux “d’opinion publique”. Bref, il fait bon y vivre et nous considérons ces middlegrounds comme des créations institutionnelles singulières. »

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