Imaginaires et diversités du monde : chantiers pluriels sur les stéréotypes, les utopies et leurs métamorphoses
jeudi, 25 janvier 2018
La journée de samedi 27 janvier 2018 est riche en événements et réflexions croisées qui interpellent l’imaginaire et les stéréotypes.
Deux rencontres publiques peuvent nous servir de balises :
Un premier colloque, intitulé Les diversités au théâtre et sur les écrans se déploie sur deux journées (27 et 28 janvier) à la Bellevilloise (19 rue Boyer, métro Ménilmontant à partir de 9 heures 30), un lieu réputé pour ses actions culturelles et artistiques.
En voici le prologue :
« En année olympique, 0,8 % des personnes apparaissant sur les écrans de la télévision française (0,4 % en année non olympique) sont porteuses de handicaps. Or, 12 millions de Françaises et de Français sont porteurs de handicaps, soit près d’une personne sur six.
Par ailleurs, 30 % de la population française est racisée (assignée et réduite à une origine réelle ou fantasmée, du fait de la couleur de sa peau, de son faciès ou de son patronyme), or cela n’est visible ni sur les planches, ni sur les écrans.
Comment interpréter ces diversités et lutter pour une juste représentativité des personnes ? Plusieurs Tables Rondes vont suggérer des pistes de travail en commun.
Organisateurs : Actrices Acteurs de France Associés et ses partenaires, Jeunes Textes en Liberté, Décoloniser Les Arts et 1000 Visages.
Ces structures associatives souhaitent, au travers de ce colloque, définir des pistes de réflexion et d’action pour avancer plus rapidement vers une production culturelle à l’image de la société.
L’autre Journée d’Études, organisée par le Groupe d’Études sur les Forêts françaises et partenaires, porte sur Forêts, arts et cultures : critiques et utopies…
Il se déroule 28 rue Serpente à la Maison de la Recherche de la Sorbonne (métro Odéon).
Son argumentaire est le suivant :
Après « L’épreuve des sens » en 2016, puis « L’esprit des lieux » au début de cette année, le Groupe d’Histoire des Forêts Françaises entend clôturer sa trilogie « Forêt, arts et culture » en scrutant les critiques et utopies exprimées par les ambiances et sensibilités forestières.
Les séances précédentes ont permis de baliser la diversité de mise en scène de la forêt dans des sociétés très diverses et de mettre en évidence les enjeux cachés de sa présence dans une oeuvre. Il s’agit cette fois de révéler les mutations sociétales et les engagements politiques qui en font l’arrière-plan. Des oeuvres culturelles posent, en effet, derrière la présence de la forêt, la question du devenir du monde : de manière explicite, plus discrète voire implicite, elles énoncent une critique sociale, incitent à imaginer un monde autre, meilleur, parfois en évolution, ou appellent à se retirer dans le désert. Il peut y avoir le regret d’un état révolu, une invitation au retrait, à l’isolement dans la « nature », l’attente d’une société nouvelle, voire l’appel à l’action en faveur d’un changement du modèle politique. Vers quelles formes de société ces productions culturelles engagent-elles à tendre ? Quels nouveaux rapports sociaux, quelle cohabitation avec les espèces non-humaines suggèrent-elles ?
De même, c’est en s’adossant à un modèle de société que le forestier décide, par un plan de gestion, des interventions sylvicoles qui orientent et encadrent le devenir d’une forêt. À quels enjeux sociétaux renvoient les réponses apportées par les choix en matière d’aménagement forestier ? Cette journée d’études fait le pari que dans certaines créations, artistiques ou non, les présences forestières sont moins propositions en faveur d’un nouveau traitement de la nature que tentatives de reformation de la culture. Raconter, figurer et offrir une forêt aux sens, c’est se situer par rapport à la société, souvent la critiquer, et parfois suggérer, fût-ce de manière symbolique, ou en contre-point, une vision du monde, rêvée, souhaitée ou utopiste. Que la forêt soit un lieu propice au retrait du monde comme il est possible de l’envisager dans le cas du Perceval de Chrétien de Troyes ou du soldat perdu du tableau du Chasseur dans la forêt (Caspar David Friedrich), qu’elle soit emblème d’un acte de résistance ou proposition d’un modèle de société comme invite à le concevoir Le baron perché d’Italo Calvino, de réponse à une déliquescence sociétale comme dans le Walden de Thoreau et le Dans la forêt de Jean Hegland, que sa disparition soit la condition d’un ordre nouveau sous la plume de Rabelais ou l’indice d’un mal sociétal dans les animations d’Hayao Miyazaki, sa présence renvoie à l’analyse d’un ordonnancement du monde. La question dépasse les réflexions du retour à la nature qui, sous la plume de J.-J. Rousseau, H. D. Thoreau ou E. Reclus, a été vu comme l’incarnation d’un équilibre politique et humaniste dont les sociétés occidentales devraient s’inspirer.
Elle s’adresse également aux sociétés agraires, féodales, industrielles ou post industrielles : quels sont les modèles proposés, dans les différentes époques, et dans des lieux variés ? Ces modèles peuvent être mis en situation, relever d’une vision planétaire, parfois, mais aussi s’appliquer à des approches très locales. Elle concerne aussi les propriétaires et institutions qui gèrent des forêts. Au-delà des divergences techniques (sylvicoles) ou économiques (gestion de coûts et des risques, investissement pour des recettes futures), faire le choix d’une futaie régulière ou irrégulière, d’espèces ou de modes de culture garants d’une récolte à court terme ou à plus long terme, d’une régénération naturelle ou artificielle révèle ce que chaque époque retient comme principes du bien faire. Les modèles sociétaux qui en forment l’arrière-plan méritent d’être interrogés. Explicites ou implicites, la critique sociale et l’utopie sont souvent présentes dans ces propositions forestières. À quelles analyses, à quels retraits, à quels changements ou à quelles visions de la société renvoie le point de vue adopté par l’artiste, l’écrivain, le cinéaste ou l’aménagiste ? Quel diagnostic pose-t-il ? Quelles solutions, quelles actions suggère-t-il ?
Il peut s’exprimer selon deux postures opposées : le mode du rejet, qui conduit à se retirer du monde, ou au contraire l’activisme politique, avec une intention progressiste ou réparatrice. La forêt s’inscrit dans un dispositif rhétorique, quelles que soient les formes esthétiques utilisées : visuelles, auditives, olfactives, elles permettent la mise en relation avec une forêt mobilisatrice, et appellent à la mise en mouvement de la société.
Le dispositif peut être narratif : sa mise en récit suppose en effet une expérience identitaire qui marque aussi bien l’idée d’appartenance que celle d’une permanence, chères à Ricoeur (1990). En tant que « storytelling » (ou « art de raconter », Salmon, 2007), les forêts des romans, oeuvres poétiques ou cinématographiques peuvent aussi être considérées comme des mises en relation des individus avec des questions de sociétés. Ces présences forestières dans les arts, ou dans les aménagements proposés par les professionnels, se révèlent ainsi des incitations à réfléchir et à agir sur la mise en ordre des sociétés. Elles peuvent devenir des outils de propagande pour ceux qui les créent ou les véhiculent : agents d’influence plus ou moins conscients, ils soutiennent des causes très diverses. La question dépasse les considérations écologistes et bien sûr la gestion forestière : elle concerne l’histoire culturelle dans son temps long. Partout dans le monde, la forêt peut et a pu être à toute époque l’illustration d’une situation plus générale ou un déclencheur, fonder une parabole ou devenir un symbole.
Sylvie Dallet de l’Institut Charles Cros est invitée, lors de ces deux rencontres complémentaires, à témoigner de ces diversités que l’imaginaire construit, ignore ou récuse…