Le paradoxe de la comédienne, ou le « tunnel de la comédienne de 50 ans ».
mercredi, 11 janvier 2017
Le Cinéma des Cinéastes accueillait vendredi 6 janvier 2017, une première dans l’histoire des lucarnes : la levée du voile sur le destin collectif des comédiennes de plus de 50 ans. Cinquante ans c’est le bel âge pour les sociétés anciennes, celles où, par exemple, la femme peut prétendre à assumer des taches de responsabilité collective, ayant abandonné l’exténuant enfantement, qui signifie le plus souvent l’enfermement au foyer. En France, celles qui incarnent à l’écran les femmes matures sont au contraire, priées de retourner dans leurs foyers, remplacées par des actrices plus jeunes. Desperate screenwives…
La disparition des écrans des femmes de 50 ans constitue de fait, un paradoxe ou plusieurs situations se disposent à l’entendement comme un puzzle secret. De fait, la moitié des femmes françaises majeures a plus de cinquante ans, alors que cette « catégorie » n’intervient sur les écrans en 2015, pour moins de 9% des personnages de fiction. Des comédiennes expérimentées se retrouvent dans un chômage qui les touchent à la fois au porte-monnaie, dans l’estime de soi et dans la relation qu’elles entretiennent avec la collectivité. Cette chute de la représentativité est d’autant plus inexplicable que le marché des seniors (et leur pouvoir) ne cesse de croître, dans une société qui se diversifie. Alertée, la présidente de la Commission « Droits de femmes » du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, Sylvie Pierre-Brossolette, a tenu à être présente lors de la Table Ronde du 6 janvier et se déclare publiquement prête à entamer un dialogue avec les chaines publiques et travailler avec elles sur des bilans vérifiés et des propositions d’avenir. Il faudra néanmoins, pour faire bouger les responsabilités des productions, activer des expertises quantitatives scientifiques, afin de mobiliser les arbitrages du législateur. Pour l’instant, les chaînes négligent cette disparition programmée, mais la situation évolue vite, tant le lièvre levé commence a faire du fracas dans les médias.
L’AAFA (association des «Actrices et Acteurs de France Associés », www.aafa-asso.org) a, eu égard à cette situation recluse, décidé de présenter devant une salle comble d’artistes, chercheurs et scénaristes, réalisateurs et producteurs, « cette zone de RIEN que beaucoup traversent » (…) « le tunnel de la comédienne de 50 ans », peu comparable avec le trajet de son homologue masculin. Cette ouverture se mène avec des mots forts, afin de briser le silence qui entoure des pratiques que les comédiennes vivent au quotidien.
Et de continuer : « ce RIEN nous voulons le nommer, l’éclairer et travailler ainsi à lever le tabou de l’âge pour les femmes et les comédiennes en particulier. Nous voulons agir pour faire bouger le curseur de nos représentations dans les fictions et exister dans les films, comme nous existons dans la réalité ».
Nommer, éclairer, agir, ce programme ambitieux réunit quarante acteurs et actrices dans une Commission spécifique créée par l’AFAA (le Tunnel de la Comédienne de 50 ans) et que le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes labellise dans le cadre de sa grande opération Sexisme Pas Notre Genre.
Cette volonté collective se nourrit d’indignations et d’inquiétudes légitimes, celles de se voir confisquer une réalité profonde, symptomatique de nos sociétés en pleines mutations. Pour comprendre cet étranglement, cette Commission a voulu écouter et questionner ensemble les médecins du travail, les sociologues, les psychiatres, les directrices de casting, les spécialistes en études cinématographiques, les scénaristes et les réalisateurs, dans un tour de table interdisciplinaire, vif et joyeux, dans le ton des personnalités réunies par l’AAFA. Travailler le vrai par l’humour, pour mieux dévoiler les dessous d’une situation complexe, est un rôle fort, que le colloque du 6 janvier a su tenir. Le tunnel n’est pas une impasse.
Au delà des frustrations personnelles et de la sensation d’être traitées à l’écran comme des « femmes objets », voire des kleenex que l’on jette, la question touche subtilement aux fondements de la société française et à ses dénis. Reconnaitre l’invisibilité dans ses non-dits, lui faire rendre gorge dans les recoins les plus obscurs de l’égalité citoyenne, permet une évolution qui ne concerne pas que les catégories socioprofessionnelles de ceux et celles qui incarnent le désir, ses silences et ses tabous. Alors que les documentaires montrent de magnifiques portraits de femmes, les films de fiction réduisent les rôles des femmes d’expérience, reprenant, dans les médias, les choix de la littérature du XIXème siècle.
En Europe, comme dans les pays riches, l’allongement de la vie et la qualité de la santé publique accompagnent la mue des identités professionnelles et privées : si les femmes de plus de quarante ans, pour exemple font de plus en plus d’enfants, ces enfants ne pourront plus, dans dix ans, s’identifier aux figures féminines que les écrans leurs proposent. À l’inverse, les feuilletons américains, construits collégialement pour rester attentifs aux « minorités » donnent à voir des formes sociétales complexes qui se renouvellent de saisons en saisons. Nous sommes, en ce vieux pays de France, dans un passage ténébreux où les archaïsmes se disputent avec l’apparence, dans une relation mythique où la séduction entre en conflit avec la sagesse, au lieu de la compléter.
Nous assistons donc à des absurdités qui peuvent même fragiliser les commanditaires des films, focalisés sur les fragilités ambitieuses de la trentenaire sur papier glacé, frémissante de ses premiers émois professionnels, des tâtonnements et des expériences de son corps. Marina Tomé, qui dirige cette Commission AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans, rappelle malicieusement des annonces courantes de casting, telle que « une cinquantenaire, sans sexe et sans âge »… Le processus d’identification et de pensée, que chacun entretient dans sa diversité, se détourne des écrans. Cette perte de repères audiovisuels, alimente une frustration collective qui ne sait pas dire son nom, cherchant parfois des exutoires politiques, hors des racines même du mal qui les touche. La fierté d’être vivante et créatrice à tout âge, fierté officiellement valorisée par les discours politiques et les documentaires, laisse les images de fiction, dans le marigot des stéréotypes. On peut se poser la question de la collusion de la grosse industrie des cosmétiques et de la mode, adeptes d’un jeunisme glacé, dans l’imaginaire des femmes à l’écran. À l’inverse, certains magazines féminins travaillent en qualité, le créneau de la réalité : les exemples de Causette, ou de Femme Majuscule, dans des registres différents, font une part belle à la biodiversité des expressions féminines. Ces questions forment donc un puzzle dynamique, qu’il convient de ne pas transformer en casse-tête : les femmes en milieu d’âge ne doivent plus être considérées comme en fin de vie audiovisuelle, ni comme une espèce en voie de disparition, de type couguar. L’individuation des comportements doit fait éclater le corset rétréci des modèles de séduction.
Plusieurs pistes d’intervention conjuguées ont été suggérées lors de l’assemblée du 6 janvier. Ces remarques tissent la relation qui unit (ou devrait unir) la recherche, l’action politique et de la création du monde de demain. Elles interpellent le pouvoir démocratique, sommé d’éclairer les recoins obscurs des discriminations contemporaines.
Son évaluation doit en effet passer par plusieurs tamis opératoires : le financement d’études genrées (gender Studies) de la profession, l’élaboration d’une grille de lecture des scénarii, l’évaluation statistiques des films français qui intègrent la parité (à la fois des sexes et des âges), la réflexion sur la quantité des apparitions féminines, mais aussi la qualité des rôles proposés (nombre de séquences, et de répliques, rôles clefs)… Penser la recherche dans une relation tendue entre l’imaginaire des récits et la réalité des représentations équivaut à une révolution que le service public peut mener dans ses dispositifs de référence les plus profonds.
Au delà de ces constats, les propositions concrètes doivent se diversifier, sur la base du multipartenariat transversal engagé par la Commission. Créer dès 2017, avec la Maison du Film court, un concours annuel de scénarios dédiées aux personnages féminins de 50 ans. Demander au service public (chaines télévisuelles et gouvernement) une prime pour les fictions dégagées des stéréotypes sexistes… tant du point de vue des comédiennes que des réalisatrices (qui reste en télévision/cinéma de l’ordre de 4% des œuvres de fiction) et, pourquoi pas ? Réfléchir à une politique intelligente de la parité représentative. La loi porte déjà ses fruits dans le domaine électoral, où la parité a fait son entrée nécessaire. En bref, la réflexion collective engagée par le Tunnel de la comédienne de 50 ans questionne nos vies et nos imaginaires quotidiens, dans une relation profonde à une société démocratique à la française, qui se veut aussi de justice et de partage.
Sylvie Dallet (janvier 2017)
No. 1 — août 21st, 2017 at 06:24
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