34ème rencontre: Le dit de la Cigogne, 23 mars 2012

Le dit de la Cigogne

 

 

La réunion du 23 mars définissait ainsi le triple enjeu des organisateurs alsaciens :

 

    1. Réfléchir aux conditions (gouvernance, actions, indicateurs…) permettant aux territoires de développer une ambiance, qui encourage la créativité dans tous les domaines (culture, économie, social….) = LE NID

 

    1. Soutenir une véritable Recherche/Développement transdisciplinaire sur cette thématique LES PATTES

 

  1. Relier les territoires volontaires (en France, en Europe, dans le monde), afin de faire circuler les bonnes pratiques en la matière = Le BEC

 

Cette réunion d’intelligence et de cœur avait été préparée par une proposition expérimentale : que les participants puissent choisir une phrase ou quelques mots qui puissent donner, avant la date du 23 mars, à réfléchir sur la créativité territoriale, fil conducteur de la journée. Cette participation collective avait été expérimentée à la Neuville Sur Essonne lors de la 20ème rencontre de la Plate Forme avec des résultats tout à fait surprenants : « le Dit de la Semeuse ».

 

Là encore, les bribes parvenues jusqu’à mon travail de restitution m’ont surprise : on y retrouve quelques mots issus du bouquet des synonymes, des images fortes issues de la Nature, une charpente de phrases explicatives ou, au contraire, un mutisme prudent. Cette forme contradictoire traduit à mon avis une vraie perplexité devant ce mot-valise de la CRÉATIVITÉ qui semble passer du domaine commun de la langue (une des richesses de la prose de monsieur Jourdain) à une valeur distinguée dont seuls quelques nantis de l’imaginaire pourraient mettre en musique.

 

J’ai donc nommé ce récit composé Dit de la Cigogne, pour le distinguer du Dit de la Semeuse, écrit au printemps 2010. Les phrases de vos mails sont de couleur orange comme les toits d’Alsace, ponctués de rouge comme le bec de l’oiseau régional quand vous y avez insisté lors de la collecte du Syndicat potentiel. Nous le savons, la cigogne est un migrateur qui aime à aménager ses nids en territoire urbain, en proximité des hommes. Cette cigogne porte en elle tous les traits d’unecréativité multiple, nomade et écosophique : oiseau mythique de la fécondité, elle navigue loin pour rapporter tous les bébés du monde dans leurs nids d’origine. Dans une configuration mythique analogue, les Ipurina du Brésil enseignent que les cigognes étaient autrefois les éboueurs du monde, faisant cuire les ordures avant de les dévorer. J’aurais pu expérimenter un Dit du Corbeau, en raison de la proximité symbolique de la Cour du Corbeau, mais le cœur m’a manqué. La créativité ne peut jouer impunément de toutes les images.

 

 

Naguère, j’ai pondu un article qui s’intitulait « la Créativité est un art social » dans une logique irrévérencieuse envers le triple A du « fameux modèle allemand »

 

Aujourd’hui, à la lecture de ces mails qui volètent vers la rue des couples, je reviens au départ : par le cercle de nos destins ou en révolution, la Créativité offre une expression personnelle.

 

De fait, certains mots battent la campagne de nos imaginaires : le « jardin secret » voisine avec l’« esprit jardinier » : on aménage un lieu comme on cultive son jardin.

 

Le mot de Voltaire revient en mémoire comme un précepte de sagesse. On doit cultiver son jardin au sens propre comme au sens figuré…
Et Victor Hugo dans son bel essai Le Promontoire du Songe (1863) note avec conviction : « Comme on fait son rêve, on fait sa vie »

 

Á la lecture des phrases envoyées avec courage vers l’aventure de l’interprétation et la bienveillance du non jugement, la créativité apparaît comme :

 

    • Une attitude forte, une saveur, une curiosité
      « La créativité est à la fois un acte de résistance contre la domestication des esprits et un réflexe de survie contre normalisation et l’immobilisme ambiant

 

    • Une aptitude, un talent voire un ressort
      « La permission de sortir du cadre, l’acceptation de l’inconnu, d’une prise de risque, le jugement différé,… »
      Victor Hugo le souligne presque férocement : « Il faut que le songeur soit plus fort que le songe », sinon l’humain disparaît dans une idéologie qu’il a forgée.

 

    • Une retenue nécessaire qui fait cercle
      Cette retenue fonctionne profondément comme une maturation :
      « Et parfois à oublier, à utiliser et à recycler. »

 

    • Un travail de pensée
      « Pour créer, il faut penser et plus encore repenser ».
      De fait, un +un = trois, dans une comptabilité expansive qui correspond à un processus du vrai.

 

    • Un Travail d’inspiration et de générosité
      « Un jardin où graines et racines, fleurs et feuilles, plantes et arbres sont des idées à faire germer, à développer, à cueillir ou à regarder »
      Strasbourg et l’Alsace offrent un brainstorming et un imaginaire complexes, à l’intersection énergétique de leurs voies, de leurs rues et des anagrammes de leurs noms.
    • Une reconquête du réel et des idées.
      «Nous assistons à un processus d’évolution et de transformation de l’être.
      La créativité nous permet de rester en lien avec une autre réalité, de rendre compte et de mettre en scène un réel qui ne serait ni forcément instrumentalisé ni immédiatement rentabilisé.»

      De fait, en région comme partout, la créativité reste au quotidien un antidote indispensable contre la morosité dans nos sociétés déclinantes… et ne peut s’inscrire que dans le champ de la subversion aux idées convenues ou consensuelles.

 

    • Un Risque et le chemin d’une émancipation.
      Ce risque n’est pas seulement un risque de penser, mais une ouverture de l’esprit. Ce risque c’est une autre saisie, une perception décalée ou profonde de la réalité, une véritable exploration des possibles.
      Mais, à la fois ressource et méthode, individuelle et collective, de recherche et d’organisation d’informations (idées, données), la CRÉATIVITÉ offre à un ensemble d’acteurs concernés, intéressés ou engagés sur une problématique des impulsions pour explorer les possibles et activer leur(s) potentiel(s) d’évolution.

 

Ouf, aurait dit la Cigogne en déposant l’enfant dans son nid : celui-ci pèse bien lourd, mais il est si précieux. Allons-nous le manger ou l’adopter ? Et le bonhomme Hugo, ce génie du concret, qui pratiquait la serendipité comme monsieur Jourdain la prose, grommelle dans le souvenir de mes lectures d’antan :

 

«Je vis et je pense à mes risques et périls,
Ce qui fait que, par moments, j’ai l’air d’un imbécile
J’y consens
 ».

Sylvie DALLET

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